Huis clos
- Dyptiques d'une confinée
J'ai choisi de me confiner seule, après quelques propositions de colocation temporaire. Avec une boule de poil non négligeable. Un appart spacieux, lumineux et plein de balcons, juste pour nous deux. En centre ville, certes. J'ai répondu à trois coups de téléphone.
Je suis sortie quatre fois. En moins d'une heure.
J'ai parlé à deux caissières et deux caissiers.
Deux flics aussi. Et j'ai fait deux entorses au règlement.
Ouais, les paires doivent me sembler rassurantes.
Au début, j'étais en colère. J'étais folle de rage. Révoltée. Contre quoi? Contre tout.
Le vide, la terre entière, les mensonges, le brassage d'air, mon impuissance, le manque d'humanité, le temps qui passe, le foutage de gueule, les politiques, notre inconscience, le connard qui klaxonne, l'état de la planète, les goûts musicaux de la voisine, le soleil, mon inaction, le chantier d'en bas. Contre les applaudissements. Ces applaudissements qui m'arrachaient des larmes, tous les soirs, à 20h tapante. Des larmes de colère. Évidemment. Alors 20h est devenu l'heure de la douche. Eau chaude réconfortante. Son à fond. Petit déhanché. Bras en l'air. Et voix criarde pour masquer leur rendez-vous quotidien. J'ai pleuré, dansé, chanté sous la douche. J'ai pleuré, dansé, chanté dans l'appart. J'ai pleuré, dansé, chanté sur le balcon. Je continue à danser et chanter partout. Je continue à être révoltée.
Il y a eu deux camps chez les confinés: les proactifs
et les pro-pas-actifs. J'ai essayé. De toute mes forces.
J'ai essayé encore. Durant cinquante cinq jours, j'ai essayé. Mais même aspirée par le canapé, je n'ai pas pu arrêter. C'est dramatique. Je ne sais pas m'ennuyer. Ça ne s'arrête jamais. Ce truc, dans ma tête. Ce truc ne s'épuise jamais. A droite. A gauche. Haut. Bas. Bas. Haut. Gauche. Droite. Droite. Gauche. Assis. Debout. Couché. Debout. Maladresse. Ramassage. Tiens, c'est quoi ça?
Où j'ai mis mon verre? Une miette sous le pied. Ménage. Lecture. Névralgie. Yoga. Sieste? Ah non, ça veut pas. Une voix. Lecture. Dessin. Podcast. On essaie de planter ça? Photo. MOOC. Cuisine. On bouge les meubles? Vendre. Louer. Partir. Rester. Trier. Oh, le chat. Maladresse. Téléphone. Téléphone. Téléphone. Téléphone. Valse. A mille temps, évidemment. Méditation. Et ça continue encore et encore, c'est que le début d'accord, d'accord.
J'écris des trucs la nuit. Depuis toujours.
C'est fou. Je me demande si le monstre sous mon lit n'a pas élu domicile dans ma tête avec le temps. C'est sûrement plus cosy.
Il y en a qui ont des listes de courses en notes dans leur téléphone. Moi, j'ai des petits encadrés à titres : La nuit. Les clans. La colère. Sortir. Diptyque. BARNAC. Parce que mon cahier de brouillon bleu, aux feuilles grisâtres, tu sais, le même que celui pour les problèmes de maths. Bah, il se promène beaucoup. Et lorsque par chance, il est là, le stylo ne l'est évidemment pas. Sortir de sous la couette reviendrait à laisser les mots, comme la chaleur, s'envoler. Simplement intolérable.
Alors j'écris des mots de lumière, la nuit. Des mots qui n'ont plus aucun sens à la lumière, le jour.
Et demain, on sort.
Fini le maillot de bain toute la journée. Demain. On sort.